Post-A.


Une voix singulière, celle d’un marginal, égaré, idiot, qui parle seul, à un ami imaginaire ou à un passant, vous, moi, qui passerait dans cette ville déserte. Un accident vient d’avoir lieu. Lui ne sait pas vraiment ce qui se passe. Il ne sait pas non plus pourquoi tout le monde est parti. Un virus, une guerre, une catastrophe nucléaire ? Il ne sait pas mais il parle, en toute inconscience, pour se réchauffer, pour noyer sa solitude.

J’ai écrit ce monologue (celui d’un homme qui délire, qui bégaie, qui se parle à lui-même), en même temps qu’EdN. Il peut être lu comme un préambule ou une annexe à ce roman.

Extrait :

ça doit faire longtemps que je suis arrivé là   je ne sais plus bien quand   je me souviens qu’au début je dormais un peu plus loin contre l’arbre   mais j’avais le soleil dans les yeux le matin   alors j’ai déménagé de l’autre côté de l’arbre   c’était pas mieux   je me souviens plus pourquoi mais c’était pas mieux       ça fait longtemps       avant j’étais sur la grille je veux dire bien avant que je me planque dans la cave quand personne était parti  je restais sur ma grille le cul bien enveloppé de cet air chaud qui montait et je regardais les gens passer c’était mon bonheur à moi il y en avait plein des gens  plein  et en bas le métro passait régulièrement   il ne passe plus   l’air chaud a continué à remonter pendant quelques jours puis plus rien   j’ai froid la nuit

c’est bizarre cette ville c’est comme une décharge   les gens aussi ont des gueules pareil 
il n’y a plus grand monde   je ne sais pas moi-même à quoi je ressemble   avant j’allais me regarder dans la vitre du supermarché  il a brûlé ils l’ont saccagé et ils l’ont brûlé  ils avaient faim maintenant c’est un grand trou noir où je n’ose pas rentrer   tout a fondu   j’entends parfois dans ma tête  ça ne doit pas faire si longtemps  la voix de Munsh me disant qu’il fallait pas avoir de nostalgie  je n’ai jamais vraiment compris ce que c’est que la nostalgie                        il ne le dit plus Munsh il est mort   comme les autres 

je jurerais pas que c’est à cause des émeutes qu’il est mort      parce que faut bien le dire leurs émeutes ça a pas duré longtemps   ils ont envoyé des camions avec plein de militaires dedans    des chars à ce qu’on m’a dit aussi et même des bulldozers            ils sont tous rentrés chez mémé illico et au galop encore moi j’étais planqué   bien planqué au fond de ma cave     y avait une petite fente j’avais même pas à me mettre sur la pointe des pieds           de là je les ai vus passer         tous     les loquedus les gens qui se barraient les militaires  les pompiers des ambulances même     y avait aussi des journalistes puis un peu plus tard des gens avec des casques et des combinaisons

ils ne passent plus       sont tous partis   je suis pas parti moi  pour une fois qu’y a plus personne et que je crève pas la dalle j’en profite              tiens quatre cinq jours après ça  peut-être plus je sais plus très bien je suis tombé sur le cadavre d’un cheval dans une grande cour carrée ça ressemblait à une ferme            y en avait un peu partout des cadavres et pas que des cadavres de chevaux plein d’autres de cadavres 
la ferme était abandonnée  ils n’étaient pas partis depuis longtemps  c’était l’ bon vieux temps où on pouvait se servir   on aurait dit la bondance         partout y en avait partout y avait qu’à se baisser
y a plus rien
je l’ai trouvé derrière la grange il était intact   juste mort quoi   s’était juste fait bouffer les globoc par les piafs           les corbeaux ils en raffolent des globoc ils les pincent du bout du bec les taquinent les picorent  y peuvent pas les gober tout crus c’est pas comme un bonbon un globoc on croirait mais non ça éclate pas dans la bouche alors ils finissent par les déchiqueter
il avait plus d’yeux mais pour le reste ça allait on voyait pas le squelette    je l’ai tâté la peau est venue toute seule  au poil j’me suis dit j’avais même pas à l’écorcher   j’ai allumé un feu avec le bois empilé le long de la grange  je l’ai même pas découpé je l’ai fait cuire là dans son jus j’ai bien fait gaffe à ce qu’il soit bien entouré de bois et j’ai allumé
c’était un beau feu de joie  j’en avais jamais fait de comme ça je crois          y avait plein de choses autour à brûler j’avais qu’à me servir  j’ai même trouvé un pot de sauce à l’intérieur de la ferme une sorte de sauce barbecue qui va très bien avec le cheval  j’ai eu à manger pour cinq six jours à la fin la viande était un peu verte mais je suis pas tombé malade  j’ai quand même eu du mal à laisser la carcasse là-bas    y avait encore plein de viande dessus    à la traîner aussi parce que je l’avais mise à l’abri à cause des mouches et des vautours         quand je suis parti je l’ai mise au milieu de la cour et j’ai attendu  Boudu au bout de vingt minutes c’était comme une danse autour   tous les crevards du monde sur la carcasse de mon cheval qui dansaient et qui tournaient

y a plus de crevards y a plus rien y a que ce type  là  qui est arrivé hier  il a pas d’appareil et de combinaison Nan c’est juste un type comme moi  mais je m’en méfie quand même    il a pas attendu longtemps pour venir bavasser   faut dire y a qu’lui et moi             il a posé ses sacs m’a fait un geste de la main  Moi c’est Josy qu’il a dit et toi ?   Moi pas !  puis j’ai plus rien dit           ouais je sais ce qu’il a  dans la tête  Salut avec ma gueule de trou de balle je t’amadoue et puis après je t’enfume                on me la fait pas à moi                  y a quand même eu un long silence                 il a caressé son rat  pour se donner contenance c’est comme ça qu’on dit je crois non ?   puis y s’est remis à pousser son chariot      moi j’étais déjà plus là   j’avais changé de branche

l’air est sec       j’ai le fond des poumons qui me tirent   quand j’ai très soif c’est toujours comme ça        rapport au soleil qui tape  j’ai la peau qui pèle aussi  je joue avec je tire et de petits lambeaux m’arrivent  je les mange  ils sont un peu salés mais c’est pas eux qui me donnent soif comme ça    c’est le désert               il est pas loin le désert             j’avais presque oublié avant avec la ville qu’il était si prêt                   mais c’est bien lui   il est vraiment tout seul maintenant   même moi je descends plus   sauf pour boire   il y a une fontaine un peu plus loin elle marche encore   c’est  la première fois que je me dis que l’eau a du goût    ce doit être une bonne eau pour boire et pour me dégourdir les jambes aussi   c’est bien beau d’être là-haut faut quand même pas oublier qu’on est des bipètes           mais je m’attarde pas  c’est pas les chiens qui me dérangent  y a plus de chiens   c’est plutôt l’aut’ là devant le crevard  qui s’est installé dans les dunes      comme qui dirait au milieu des ordures       y veut me piquer mon arbre c’est sûr